Par Naia Gerigk Lopez avec Dr. Meboma
Est l’objectivité totale possible d’atteindre dans le cadre de l’histoire?
C’est une vieille question en histoire. Est-ce que les historiens peuvent être objectifs? La réponse est non, ce n’est pas possible. Les historiens se donnent l’illusion de tendre vers l’objectivité, puis c’est cet idéal qui guide le métier d’un historien. C’est-à-dire que lorsque je mène une recherche sur un sujet et que je construis ce récit, mon objectif est de rédiger un récit aussi impartial que possible. Il s’agit de viser l’objectivité en croisant les sources de manière à ce que des perspectives contradictoires soient présentées. On aspire vers cet idéal, mais l’historien ne l’atteindra jamais, car il est toujours influencé par son contexte. Il est situé par rapport à ce qu’il a vécu, ses expériences et sa situation géographique. C’est pour cela que non, l’objectivité n’est pas possible.
Est ce que vous pensez qu’on devrait quand même viser l’objectivité lors de l’enseignement de l’histoire?
Comme avec l’histoire, oui, on doit viser l’objectivité. Mais comme avec l’histoire on n’est jamais neutre, y compris l’enseignant. Dans l’enseignement, la neutralité ne peut pas exister même si je le veux. Nous sommes dans un programme ou les enseignants peuvent choisir les thèmes qu’ils abordent. Ils ont des concepts à étudier par exemple les révolutions, la colonisation, les guerres etc, puis c’est eux qui peuvent choisir les exemples. Les exemples que l’enseignant décide d’aborder reflètent déjà une certaine orientation. Ses choix ne sont jamais faits au hasard. Par exemple, je ne peux prétendre être neutre, car les cas que je sélectionne sont souvent les moins célèbres, c’est-à-dire ceux que l’histoire aborde rarement, mais qui jouent un rôle important dans un cadre international. Je favorise donc des exemples peu connus, en particulier ceux de l’Afrique, des Amériques ou de l’Asie. Cela montre bien que, rien qu’à travers ces préférences, je m’inscris dans une méthode qui n’est pas impartiale.
Thomas Kelly, dans un article marquant publié en 1986, s’est penché sur la manière dont les enseignants adoptent différentes postures pour aborder des sujets délicats en classe. Aujourd’hui, enseigner l’histoire est une tâche complexe, voire périlleuse, compte tenu des multiples crises contemporaines. Kelly a proposé quatre façons pour un professeur de se positionner face à ces enjeux : la neutralité exclusive, la partialité exclusive, l’impartialité neutre et l’impartialité engagée.
Prenons, par exemple, le conflit actuel à Gaza, un sujet sensible parmi tant d’autres. Un enseignant peut choisir de l’aborder de différentes manières :
Neutralité exclusive : le professeur décide de ne pas intégrer le sujet en classe, afin d’éviter toute controverse ou débat.
Partialité exclusive : l’enseignant traite le conflit, mais oriente les élèves vers une position déterminée, désignant clairement les “bons” et les “méchants”.
Impartialité neutre : cette approche consiste à mettre les sujets controversés sur la table sans exprimer d’opinion personnelle. L’enseignant thématise les enjeux pour ouvrir la discussion, mais s’abstient de prendre parti pour ne pas influencer les élèves.
Impartialité engagée : ici, l’enseignant partage sa position tout en exposant les autres points de vue, montrant que son opinion n’est qu’une parmi d’autres.
Pour conclure, il est impossible d’être complètement neutre. Personnellement, je ne peux rester indifférent sur certaines thématiques, en particulier lorsqu’il s’agit de droits humains. Quand ces droits fondamentaux sont violés, comme c’est parfois le cas, garder le silence reviendrait à abandonner un idéal partagé par des institutions comme la nôtre (Ecolint).
Un autre danger réside dans le relativisme ou le négationnisme, qui a nié l’existence des chambres à gaz et prétendu que les récits sur les Juifs étaient fabriqués. Face à de telles dérives extrêmes, l’inaction est inconcevable. Défendre les droits humains et combattre ces formes de déni est impératif, car ces phénomènes représentent des tragédies de l’histoire contre lesquelles il faut se mobiliser.
Est-ce que vous pensez que Ecolint arrive à rester objectif notamment avec son curriculum d’histoire?
Oui, Je pense que oui parce que l’Ecolint offre un curriculum histoire, autant le BI que le ULP, qui est un curriculum intéressant car il laisse au enseignants la possibilité de choisir les thèmes et encore une fois, rien que le choix permet de bien se positionner. Car l’idée c’est de donner des differents points de vus. Et le fait d’offrir un choix varié est positif dans le cadre de la neutralité. Parce que quand il n’y a pas de choix possible on n’est plus neutre. L’Ecolint joue un rôle important en tant qu’établissement privé international, réunissant de nombreuses nationalités. En ce sens, elle peut être vue comme un organisme international, échappant ainsi à la contrainte imposée à de nombreuses écoles publiques. Ce restreint est le devoir d’enseigner un roman national, tant en Suisse qu’en France ou qu’au Cameroun. L’histoire est orientée, avec un narratif d’etat qu’il faut transmettre. Puis aussitôt que l’enseignant sort de ce narratif il fait face à des soucis. Donc grâce à la nature d’Ecolint, l’enseignement de l’histoire de façon neutre et variée est favorable.
Est-ce que le but de l’objectivité est incompatible et peut potentiellement empêcher des discussions ouvertes sur des sujets controversés?
Non, absolument pas, parce que la classe histoire est le lieux où peuvent s’exprimer les points de vue. La différence entre l’école et la rue c’est que quand on discute dans la rue sur des sujets controversés on se bagarre. Mais dans la classe ceci n’est pas le cas, car ici on apprend à comprendre les points de vus, ce qui fait partie de viser l’objectivité. Pour atteindre l’idéal de l’objectivité il faut connaitre plusieurs points de vue. Car si on n’impose qu’un seul sur les autres, c’est ce qu’on appelle un égocentrisme, qui devient un pluralisme. Mais ce n’est pas véritablement du pluralisme ou encore du mondialisme car le point de vue est imposé. Tant qu’on ne connaît pas les oubliés de l’histoire, que ce soit intentionnellement ou pas, et qu’on ne les mets pas en lumières, le pluralisme ne peut pas exister. La recherche d’objectivité n’est donc pas incompatible avec les thématiques controversées.
Comment peut-on essayer de reconnaître ses propres biais et préjugés?
Il faut déjà reconnaître qu’on n’est pas objectif. Se dire qu’on est objectif c’est se mentir. On est toujours situé et moi je suis le premier situé, on l’est tous. Le reconnaître c’est le premier pas, le deuxième pas, est ce que les historiens font, notamment d’utiliser des sources contradictoires à leur point de vue principal. Pour donner à voir plusieurs perspectives à leur point de vue. Après avoir croisé les sources on peut retourner à son opinion sans soucis. Mais on le fait en sachant que ceci est notre propre narratif personnel.